Marie avait eu gain de cause. Son père, qu’elle ne voyait qu’un mois pendant les grandes vacances, s’était laissé embobiner.

Depuis l’âge de 12 ans, elle rêvait d’ un dragon dessiné sur le creux de ses reins. Elle était fanatique de livres de dragons, de preux chevaliers et de merveilleuses princesses. Tous les ans, sur cette plage du Sud dont elle connaissait le moindre grain de sable, un stand se tenait en retrait, là derrière la paillote où elle sirotait des sodas frais ou des glaces à longueur de journée. Il n’y avait pas d’activités pour les jeunes, trop de monde sur la plage malgré la distanciation sociale due à l’épidémie de Covid 19, serviettes contre serviettes, téléphone à la main et casque sur les oreilles. Les dessins proposés par le tatoueur étaient magnifiques et l’année dernière son amie avait eu l’extrême bonheur d’avoir un papillon sur le bras. Qu’ils étaient beaux : le papillon bien sûr et le jeune tatoueur : basané, une vingtaine d’années et son sourire, ah son sourire….. Marie en rêvait parfois le reste de l’année, lorsque le cours de physique lui semblait trop abstrait.

Du haut de ses 16 ans, elle s’était jurée que cette année elle aussi aurait un tatouage.
« Dis, papa, c’est un tatouage temporaire, il ne dure qu’un mois et après il s’efface »
« Ta mère est d’accord? »
« Ben, euh…. »
Marie repartit bouder dans son coin. Bof, cette année , les vacances étaient fichues. De ses copains et copines des étés précédents, peu étaient présents. Parents au chômage? peur de la pandémie ? Vacances plus courtes ? Son père et sa nouvelle amie et ses gamins insupportables : des jumeaux de 5 ans qui ne tenaient pas en place. Ils ont passés toutes les vacances à l’embêter, lui jeter du sable.
« Dis papa, fais quelque chose »
« Si tu n’es pas capable de supporter des enfants de 5 ans; à ton âge… »

Marie devenait au fil des jours d’humeur de plus en plus sombre. Fichues vacances et Agathe – sa grande amie- qui n’était pas là cette année.

Et là, 3 jours avant la fin de ce calvaire estival, la copine à son père se ramène avec une rose tatouée sur un sein et la branche qui descendait jusqu’à son nombril. Son père en était fou et toute la journée « Viens que j’embrasse ta rose et patati et patata…. » Ce n’est pas que je n’aime pas que Justin me fasse des bisous dans le cou,- Justin c’est mon petit ami- mais là vraiment tous les 2, mon père et elle, c’était comment dire, presque indécent sur la plage.
« Tu vois papa, c’est très joli et cela disparaîtra dans un mois »
« Bon,, c’est d’accord, mais surtout tu ne le dis pas à ta mère. »
A 14 heures, les jumeaux dormaient enfin Marie fonça chez le tatoueur. Oh, non c’était une dame d’une cinquantaine d’année. Marie s’était décidée pour LE Dragon qu’elle va enfin sentir au creux de ses reins, lové pile au-dessus de la raie des fesses. Si c’était le beau et jeune tatoueur, le dragon aurait sans doute était plus petit et sur le bras. Mais là, autant se faire plaisir et sa mère n’en saura rien.
L’aiguille s’enfonçait un peu dans la peau, mais c’était un tel bonheur de ressentir cette douleur.

Toute l’après-midi, Marie était restée à bronzer, le dos bien au soleil car il fallait que le tatouage sèche. Marie avait un peu chaud mais au calme car son père et « sa suite » étaient allés voir un film pour « bébé » avec les jumeaux.
Marie était rentrée le soir, abrutie de soleil et un bon mal de tête derrière le crane en prime , mais AVEC son dragon.

Le lendemain, avec un magnifique coup de soleil sur les épaules, la plage ne la tenta plus. D’autant qu’il fallait faire les valises. La copine de son père avait profité de la présence de Marie dans l’appartement pour lui coller les affreux jumeaux à garder Juste le temps d’aller chez le coiffeur. (C’est ça , oui, elle en a pour l’après-midi ) 3 heures plus tard, elle revint avec des mèches noires qui pendouillaient le long de ses épaules. Au moins lorsqu’elle était teinte en blanc, on ne voyait pas ses cheveux moches, raides.

Le dernier jour, tout le monde s’activa pour caser les valises, jouets, glacière.
Marie se mit à sa place à l’arrière et les jumeaux dans leurs sièges autos, presque dans le coffre..
A midi, arrêt sur une aire d’autoroute car apparemment le budget vacances avait été largement dépassé d’après son père, d’où pique-nique, enfin d’ignobles sandwichs . La copine de son père avait décrété qu’elle voulait faire une sieste et vint s’installer à coté de Marie. Marie, casque sur les oreilles depuis le départ, n’avait pas entendu les disputes …à l’avant
Marie se cala le long de la vitre et les cheveux noirs frottaient sur son épaule, car pas moyen de la réveiller et bien que Marie repoussa la tête de l’autre coté à chaque fois, elle se blotti sur son épaule.

De retour chez sa mère, Marie se rendit compte que son épaule la grattait. Pas étonnant avec le poids de cette tête hier pendant au moins 3 heures…
« Alors ces vacances, ma grande »
« Bof »
Marie n’allait surtout pas dire que son père lui avait cédé pour le tatouage.

Au bout d’une semaine, une magnifique plaque d’eczéma avait envahi son épaule
« C’est sa copine, elle s’est teint les cheveux et a passé le voyage avachie sur mon épaule » Cependant Marie sentait que son dragon commençait à la démanger. Mais pas question de se frotter ni d’en parler à sa mère. L’eczéma de l’épaule devenu suintant, sa mère se fâchât et l’emmenât chez son médecin traitant. Marie se sentait mal à l’aise, mais si elle ne parlait pas du dragon peut-être, avec un peu de chance.Cependant le dragon lui donnait l’impression de cracher des flammes et de la brûler.
« Tiens, Marie cela fait longtemps que je ne t’ai pas vue. Voyons le carnet de santé..Ton eczéma atopique de la petite enfance s’est calmé et je ne t’ai revue que pour les vaccins…Tu ne fais pas de sport »
« Non, cette année, Marie n’a pas voulu de réinscrire à la piscine. De toute façon depuis qu’elle est rentrée de vacances, elle est d’une humeur de chien, vous croyez que c’est la crise de l’adolescence, Docteur? »
« Madame, vous savez, votre petite Marie a bien grandi, elle a 16 ans maintenant. Tiens Marie tu enlèves ton tee-shirt que je voie cette épaule. »
« Marie passa son bras sous son tee-shirt pour ne dégager que l’épaule.
« Non, Marie, enlèves-le car il faut que je voie si tu n’as pas d’eczéma ailleurs »
« Mais, non, ça ne me gratte que là ». Hélas, le médecin souleva le tee-shirt .
Le hurlement de sa mère renseigna vite Marie sur l’étendue du désastre. C’est vrai qu’hier soir, Marie avait décollé le tee-shirt de son dos en serrant les dents, le dragon avait craché des flammes et le dos de Marie était suintant.
« Madame, me permettez-vous de prendre une photo, car un dragon pareil, en 30 ans de carrière je n’en ai jamais vu. C’est une magnifique allergie de contact au colorant noir dont est constitué l’encre du tatouage. C’est un tatouage temporaire, n’est ce pas Marie? tu l’as fait faire récemment? »
« Euh, ben oui »
« Encore heureux que tu ne te sois pas teinte les cheveux en noir, car là tu aurais vraiment souffert ».
« Pendant le retour, la copine de mon père s’est appuyée sur mon épaule et elle venait de se faire teindre les cheveux en noir. »
« Alors, ne cherche plus l’origine de l’eczéma de ton épaule. Il s’agit très probablement d’une allergie au PPD – para phénylène diamine qui est un des constituants de ce colorant noir. En principe son utilisation est strictement réglementée, mais certains tatoueurs sur les plages utilisent encore des encres contenant du PPD. Je vais vous proposer une crème à base de corticoïdes et cela devrait s’arranger. Sinon, il faudra demander un avis auprès d’un allergologue . Il pourra éventuellement te faire des tests de contact pour affirmer cette allergie. Mais le PPD étant très sensibilisant, les tests proposés pourront omettre cette substance »

Le dragon mit plusieurs mois avant de disparaître, mais la cicatrice persiste encore. enfin c’est ce que dit Justin.
Marie, craché juré, se promit de ne plus se faire tatouer …. ni colorer les cheveux et surtout de bien laver les vêtements neufs de couleur foncée avant de les mettre pour la 1ère fois.

ALLERGIQUE ?
Histoires et nouvelles pour petits et grands.

Le printemps.
L’allergie est une maladie mondiale en forte expansion.
Cet ouvrage aborde l’allergie par le biais de petites histoires. Le vécu de l’allergique, ses difficultés au quotidien sont décryptés afin de mieux connaître et par conséquent de mieux combattre ce fléau : l’allergie. De nombreux conseils, astuces sont donnés pour identifier et éviter l’allergène responsable des symptômes présentés.

L’auteure nous emmène dans un monde allergique vivant, drôle, émouvant, à travers des scènes imaginaires ou de la vie quotidienne.
Ces courtes histoires sont rythmées par les saisons en commençant par le printemps.

Michèle PIPART est médecin allergologue et exerce depuis 1989 l’allergologie dans son cabinet libéral. Elle est également diplômée en Sophrologie relaxation.