Le 20 juin 2023, le tribunal administratif de Paris a condamné l’État à verser 3 000 et 2 000 euros aux familles de deux enfants ayant souffert de crises d’asthmes et d’épisodes de bronchiolite pour l’un et d’otites répétées pour l’autre, du fait de dépassement des seuils de pollution atmosphérique.
Les parents de A. imputent les maladies respiratoires contractées par leur fille mineure depuis sa naissance en 2015, à la pollution atmosphérique de la région Île-de-France. Ils ont adressé une réclamation indemnitaire au ministre de la transition écologique et solidaire et au préfet de police les 30 et 31 juillet 2020. Par un jugement avant-dire droit du 7 février 2022, le tribunal a jugé que «l’État avait commis une faute de nature à engager sa responsabilité en ce que les mesures adoptées n’ont pas permis que les périodes de dépassement des valeurs limites de concentration de polluants dans l’atmosphère de la région Île-de-France soient les plus courtes possibles ». Il a en outre ordonné une expertise afin d’apprécier les conséquences des dépassements des seuils de concentration de gaz polluants fixés à l’article R.221-1 du code de l’environnement sur l’état de santé de A., et par suite l’importance des préjudices en lien avec la faute de l’État.
Il résulte de l’instruction, et notamment du rapport d’expertise déposé le 12 janvier 2023, que les études scientifiques établissent de façon épidémiologique et statistiquement significative un lien entre asthme du nourrisson et pollution, notamment en ce qui concerne les pollutions au dioxyde d’azote (NO2, marqueur de pollution automobile), aux particules d’un diamètre inférieur à 2,5 microns (PM2,5) et à l’ozone. La pollution n’est toutefois pas la seule explication aux bronchiolites de l’enfant, le virus respiratoire syncitial (VRS) ayant été identifié comme responsable de 60 à 80 % des épisodes de bronchiolite. Les pics de pollution favorisent la survenue de ces infections virales, avec des délais de quelques jours à plusieurs semaines entre pic de pollution et symptômes respiratoires, déclenchant un asthme du nourrisson viro-induit, chaque pic de pollution pouvant déclencher des manifestations sifflantes qui ne sont pas nécessairement de nature infectieuse. D’autres facteurs peuvent contribuer à la survenue de ces épisodes, tels que les allergies, le tabagisme parental, l’exposition à des produits chimiques domestiques ou encore les conditions météorologiques. Toutefois les études statistiques évaluent la part attribuable à la pollution dans les bronchiolites sévères de 30 à 50 %.
A., née le 24 mai 2015, a été hospitalisée du 7 au 10 octobre 2015 pour bronchiolite, et a ensuite souffert d’épisodes de bronchiolite à répétition, avec plusieurs consultations des urgences hospitalières, les 25 août, 21 novembre et 26 décembre 2016, conduisant à un diagnostic d’asthme du nourrisson le 25 août 2016, et à la mise en place d’un traitement inhalé quotidien par nébulisation, associant corticoïdes et bronchodilatateurs, et des séances de kinésithérapie respiratoire, ainsi que d’un plan d’action personnalisé pour la crèche. A plusieurs reprises, les symptômes manifestés par A. ont coïncidé avec des épisodes de pollution à dépassement de seuil. Ainsi A. a consulté pour bronchiolite les 13 mai, 15 août et 7 décembre 2016, ainsi que les 19 et 26 janvier et 11 février 2017, dates auxquelles des dépassements de seuils de pollution ont été enregistrés. Si A. a fréquenté la crèche, ses parents sont non-fumeurs, leur logement ne comportait pas, selon eux, d’élément favorisant asthme ou allergies, et les tests allergologiques pratiqués sur A. en 2016 et 2017 se sont révélés négatifs. En outre, la famille a résidé, jusqu’à son déménagement à Agde en août 2017, à Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis), à 700 mètres du boulevard périphérique, et une amélioration nette de l’état de santé de A. a été observée postérieurement à ce déménagement, puisqu’aucun épisode de gêne respiratoire sifflante n’a été ensuite enregistré, et que le traitement de fond a pu être abandonné, à l’exception d’un épisode, en mars 2022, en raison d’une virose, qui a nécessité une reprise transitoire de la ventoline.
Il résulte, ainsi de l’instruction qu’une partie des symptômes dont a souffert A. a été causée par le dépassement des seuils de pollution résultant de la faute de l’État. Par suite, les parents de A. sont fondés à demander à l’État la réparation des préjudices subis du fait de ces pathologies.
Pour la deuxième famille, dont l’une des filles, née en 2014, a « souffert de façon répétée d’otites moyennes aiguës, affections douloureuses, qui ont entraîné plusieurs interventions chirurgicales ORL […] et occasionné une perte d’audition temporaire », le tribunal aboutit aux mêmes conclusions et condamne l’État à verser aux requérants 2 000 euros au titre de la réparation des souffrances endurées par l’enfant. Il pointe notamment qu’il résulte de l’instruction et du rapport d’expertise que « les études scientifiques apportent des arguments en faveur d’un lien entre pollution et survenue d’otites moyennes, notamment en ce qui concerne les dérivés oxygénés de l’azote, composés produits par les moteurs thermiques, irritants pour les voies respiratoires » et que « le facteur attribuable à ce type de pollution sur les épisodes d’otite serait d’environ 30 % ». « À plusieurs reprises, les symptômes manifestés par l’enfant, incluant conjonctivite, otorrhée, rhinite purulente, fièvre et otite moyenne ont coïncidé avec des épisodes de pollution à dépassement de seuil » et par ailleurs son état s’est « nettement amélioré » à la suite du déménagement de la famille hors de la région parisienne, note le tribunal.
Si la Cour de justice de l’Union européenne a jugé, par son arrêt du 22 décembre 2022 que « les normes de qualité de l’air ambiant doivent être interprétées en ce sens qu’elles n’ont pas pour objet de conférer des droits individuels aux particulier susceptibles de leur ouvrir un droit à réparation à l’égard d’un État membre, au titre du principe de la responsabilité de l’État pour des dommages causés aux particuliers par des violations du droit de l’Union qui lui sont imputables », sa solution « n’exclut pas que la responsabilité de l’État puisse être engagée dans des conditions moins restrictives sur le fondement du droit interne et que, le cas échéant, il puisse être, à ce titre, tenu compte de méconnaissances des obligations européennes « en tant qu’élément susceptible d’être pertinent aux fins d’établir la responsabilité des pouvoirs publics sur un autre fondement que le droit de l’Union ». Il appartient à la juridiction saisie d’un litige individuel portant sur les conséquences pour la personne concernée d’une exposition à des pics de pollution résultant de la faute de l’État, de rechercher, au vu du dernier état des connaissances scientifiques en débat devant elle, s’il n’y a aucune probabilité qu’un tel lien existe. Dans l’hypothèse inverse, elle doit procéder à l’examen des circonstances de l’espèce et ne retenir l’existence d’un lien de causalité entre l’exposition aux pics de pollution subie par l’intéressée et les symptômes qu’elle a ressentis que si ceux-ci sont apparus dans un délai normal pour ce type d’affection, et par ailleurs, s’il ne ressort pas du dossier que ces symptômes peuvent être regardés comme résultant d’une autre cause que l’exposition aux pics de pollution.